Nous vous proposons ce texte pour l’intérêt des statistiques qu’il présente démontrant que la dépression économique est aux portes du monde capitaliste et que le prochain crash sera terrible. Le constat que fait l’auteur est implacable…ce qui de manière incongrue ne l’empêche pas de proposer une série de mesures de redressement afin de réformer le capitalisme et de le réchapper. Un constat nous sidère cependant. Si ces réformettes tenaient la route et permettaient de sauver le capitalisme, pourquoi les banquiers ne s’y attèleraient pas pour sauver leur emploi de garde chiourme ? C’est que l’auteur n’a pas compris que le vice de fonctionnement du capitalisme est inné (génétique) – il n’est pas acquis, ni appris. Inutile de changer le pilote – c’est l’avion qu’il faut repenser. Robert Bibeau. Éditeur http://www.les7duquebec.com
l’augmentation très forte des dettes privées des entreprises, d’une part, et d’autre part, la bulle spéculative sur les prix des actifs financiers : bourses des valeurs, prix des titres de la dette, et, dans certains pays (États-Unis, Chine), de nouveau le secteur immobilier. Les deux facteurs sont étroitement interconnectés.
Les bulles spéculatives mentionnées plus haut sont le résultat de la politique menée par les grandes banques centrales (Réserve Fédérale des États-Unis, BCE, Banque d’Angleterre, depuis dix ans, et de la Banque du Japon depuis l’éclatement de la bulle immobilière dans les années 1990) qui ont injecté des milliers de milliards de dollars, d’euros, de Livres Sterling, de Yens dans les banques privées pour les maintenir à flot. Ces politiques ont été appelées Quantitive easing ou assouplissement monétaire. Les moyens financiers que les banques centrales ont distribué à profusion n’ont pas été utilisés par les banques et les grandes entreprises capitalistes des autres secteurs pour l’investissement productif. Ils ont servi à acquérir des actifs financiers : actions en bourse, obligations de dettes des entreprises, titres publics souverains, produits structurés et dérivés… Cela a produit une bulle spéculative sur le marché boursier, sur le marché obligataire (c’est-à-dire les obligations de dettes), et, à certains endroits, dans le secteur immobilier. Toutes les grandes entreprises sont surendettées.
Cette politique des banques centrales témoigne du fait que les décisions de leurs dirigeants sont entièrement déterminées par les intérêts à court terme des grandes banques privées et des grandes firmes capitalistes des autres secteurs : empêcher des faillites en chaîne et, en conséquence, des pertes considérables pour les grands actionnaires.
A la fin de décembre 2018, un grand Krach boursier a failli éclater aux États-Unis et l’effet de contagion a été immédiat. Il s’agissait d’un signal supplémentaire annonciateur d’un important krach à venir.
Le marché de l’immobilier aux États-Unis est redevenu fragile : le prix de l’immobilier a augmenté de 50 % depuis 2012 et son niveau dépasse celui atteint juste avant la crise qui a démarré en 2005-2006 et a provoqué la grande crise internationale de 2008-2009. Certains spécialistes considèrent qu’on pourrait être à l’aube d’une nouvelle crise de l’immobilier car l’activité commence à ralentir, les ventes de logements diminuent.
La poursuite de la politique d’assouplissement monétaire (Quantitative Easing) en Europe, de même que sa sortie aux USA sont des facteurs de crise.
Les grandes banques privées dites systémiques sont extrêmement fragiles et la valeur de leurs actions a fortement baissé aux États-Unis et en Europe dans la deuxième moitié de 2018, la chute se poursuit au premier trimestre 2019. Les grandes banques privées sont soutenues à bout de bras par la banque centrale de leur pays. La Fed ne respecte pas son engagement de revendre les titres de dette privée toxique (les fameux mortgage backed securities – MBS –). En mars 2019, elle détenait un volume énorme de 1600 milliards de $ de MBS (voir https://www.federalreserve.gov/releases/h41/current/h41.pdf consulté le 17 mars 2019) acquis en 2008-2009 auprès des grandes banques privées pour les sauver.
La BCE de son côté continue de prêter des liquidités aux banques à 0 % de taux d’intérêt et elle vient de leur promettre de ne pas augmenter le taux avant la 2020 (voir Martine Orange, « La BCE face à ses limites », https://www.mediapart.fr/journal/international/080319/la-bce-face-ses-limites?page_article=1 publié le 8 mars 2019 et Delphine Cuny (La Tribune), « La BCE choque les marchés en repoussant la hausse des taux », https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/la-bce-choque-les-marches-en-repoussant-la-hausse-des-taux-809976.html#xtor=EPR-2-[l-actu-du-jour]-20190308, publié le 7 mars 2019).
L’engouement des banques et des autres acteurs sur les marchés financiers pour les titres de la dette publique est impressionnant : tous les États de la zone euro ont réussi à emprunter de fortes sommes d’argent au cours des trois premiers mois de l’année 2019 (de même qu’en 2018). Chaque annonce d’un emprunt voit affluer les offres d’achat. Généralement, lorsqu’un État veut emprunter un milliard €, les banques lui en proposent 4, c’est dire à quel point elles disposent de liquidités (qui proviennent largement des banques centrales à leur service), c’est dire à quel point elles veulent acheter des titres publics car rémunérateurs et sûrs. De plus, comme je l’ai expliqué dans mon livre Bancocratie, le fait d’acheter des titres souverains permet aux banques d’augmenter artificiellement le ratio de leurs fonds propres par rapport à leur bilan grâce au système de la pondération des actifs par le risque (voir « Tout va très bien madame la marquise » http://www.cadtm.org/Tout-va-tres-bien-madame-la et Bancocratie, chapitre 12, Aden, Bruxelles, 2014).
Mais dès que la crise prendra une tournure catastrophique, les médias dominants et les banquiers accuseront une nouvelle fois les Etats de faire trop de dépenses publiques et d’émettre trop de dettes publiques.
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Croissance très faible en général, stagnation ou forte récession dans une série de cas
La croissance économique dans les pays « anciens » les plus industrialisés reste faible et elle est en baisse dans plusieurs pays clés. En particulier en Europe où, après une petite croissance en 2017, l’année 2018 s’est terminée avec une stagnation et dans le cas de l’Allemagne, une chute de la production industrielle au 4e trimestre de 2018 et au premier trimestre 2019 (Financial Times, « German industrial production drops unexpectedly », 11 March 2019, https://www.ft.com/content/2e93cb1a-43ca-11e9-a965-23d669740bfb). Les autorités allemandes ont revu à la baisse les prévisions de croissance pour 2019 en la ramenant à 1 % (alors qu’en 2016-2017 le taux de croissance annuel dépassait 2 %). L’investissement dans l’UE a mis 12 ans à revenir à son niveau de 2007 avant l’éclatement de la crise (Financial Times, « EU investment rebounds to level before 2008 financial crash », 9 March 2019).
Au niveau de la zone euro, la croissance au troisième trimestre 2018 n’a été que de 0,2 %, la plus basse depuis 4 ans. L’Italie est en récession. La France connaît une petite reprise grâce à la légère hausse de consommation qui est le résultat du mouvement des Gilets jaunes qui a amené Macron à ne pas respecter aveuglément la discipline budgétaire (voir mon article : Europe : désobéir pour mettre en œuvre une alternative favorable aux peuples, 12 février 2019, http://www.cadtm.org/Europe-desobeir-pour-mettre-en-oeuvre-une-alternative-favorable-aux-peuples)
Au Japon, la croissance sur la période avril 2018-mars 2019 est d’environ 0,9 %, elle aussi en baisse par rapport à 2017. L’économie des USA est également en phase de ralentissement, le FMI prévoit une croissance de 2,5 % en 2019 contre 2,9 % en 2018. D’autres experts prévoient une croissance plus faible. Cela a amené la Réserve fédérale des États-Unis à suspendre provisoirement l’augmentation des taux d’intérêt entreprise depuis fin 2016.
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Bilan de l’action de la BCE
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Renforcer la domination des économies européennes les plus fortes (Allemagne, France, Benelux…) où sont basées les plus grandes entreprises privées européennes. Cela implique de maintenir de fortes asymétries entre les économies les plus fortes et les plus faibles.
Participer et soutenir de manière offensive les attaques du Capital contre le Travail afin d’augmenter les profits des entreprises et rendre les grandes entreprises européennes plus compétitives sur le marché mondial face à leurs concurrents états-uniens, chinois, japonais, coréens… Les exemples de l’intervention de la BCE pour atteindre cet objectif en Italie, en Grèce, à Chypre, au Portugal, en Irlande, en Espagne, … sont multiples.
L’acharnement de la BCE à contribuer aux attaques contre ceux d’en bas vient une fois de plus de s’exprimer très clairement. En mars 2019, la BCE et les banques de l’Eurosystème ont refusé de rendre à la Grèce une partie des bénéfices réalisés sur le dos du peuple grec [2] sous le prétexte que le gouvernement d’Alexis Tsipras n’avait pas suffisamment approfondi les contre réformes sociales. Il s’agit notamment de la volonté de la BCE de voir supprimer les derniers obstacles à l’expulsion des ménages grecs incapables de poursuivre le remboursement de la dette hypothécaire pour leur résidence principale. Rien n’est épargné comme sacrifices au peuple grec qui constitue une victime expiatoire de la Troïka au sein de laquelle la BCE joue un rôle clé.
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La nécessité de solutions radicales
La dette publique contractée pour sauver les banques est clairement illégitime et doit être répudiée. Un audit citoyen doit déterminer les autres dettes illégitimes, illégales, odieuses, insoutenables… et permettre une mobilisation telle qu’une alternative anticapitaliste crédible puisse prendre forme.
Les banques centrales doivent être radicalement refondées, leurs missions doivent être redéfinies. Elles doivent reprendre le rôle de création monétaire en faveur du secteur public et contribuer activement au financement de la transition écologique et à la lutte contre l’injustice sociale. La mobilisation citoyenne et l’auto-organisation sociale constituent la condition sine qua non à la réalisation des différentes solutions proposées.
Notes
Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.
http://www.cadtm.org/La-crise-economique-et-les-banques-centrales